Le lissān ʿarabiyy mubīn n’est pas la langue de Muhammad : approfondissement critique
Introduction
Dans un précédent article publié sur dignedefoi.info, nous avons présenté la thèse selon laquelle le lissān ʿarabiyy mubīn — expression coranique que l’on traduit généralement par "langue arabe claire" — ne désigne pas la langue arabe historique, mais un système linguistique rationnel, universel et autonome. Dans le présent article, nous poursuivons cette réflexion à travers une série d’arguments complémentaires fondés sur une lecture rigoureuse du Coran, en nous détachant des filtres culturels et grammaticaux hérités de la tradition postérieure.
1. Le lissān du Prophète n’est pas nécessairement celui de la Révélation
Le verset [Ibrāhīm 14:4] précise :
وَمَا أَرْسَلْنَا مِن رَسُولٍ إِلَّا بِلِسَانِ قَوْمِهِ لِيُبَيِّنَ لَهُمْ
"Nous n’avons envoyé de messager qu’avec le lissān de son peuple afin qu’il leur explique."
Ce passage distingue clairement deux niveaux : d’un côté, le lissān du peuple, qui est le médium de communication du messager ; de l’autre, ce que le messager explique — en l’occurrence, un message révélé. Or, ce message, dans le cas du Coran, est désigné comme lissān ʿarabiyy mubīn [cf. az-Zukhruf 43:3, az-Zumar 39:28], ce qui nous indique que la révélation obéit à une logique propre, et non au simple dialecte ou parler tribal de l’époque.
2. Le lissān ʿarabiyy est un système autonome, clair et droit
Le Coran affirme à propos de lui-même :
قُرْآنًا عَرَبِيًّا غَيْرَ ذِي عِوَجٍ (az-Zumar 39:28)
"Un Coran en lissān ʿarabiyy, sans aucune déviation."
Le mot ʿarabiyy ici ne désigne pas une langue au sens ethno-linguistique, mais une qualité de structure : ce qui est droit, explicite, sans ambiguïté. Par opposition à aʿrābiyy ou ʿujmah, il s’agit d’un mode d’expression codifié et systémique, propre à la Révélation. Le Coran lui-même se présente comme un code de vérité, et non comme un poème, ni une production culturelle. Il affirme d’ailleurs :
وَمَا عَلَّمْنَاهُ الشِّعْرَ وَمَا يَنبَغِي لَهُ (Yā-Sīn 36:69)
"Nous ne lui avons pas enseigné la poésie, cela ne lui sied pas."
3. Une Révélation indépendante de la culture linguistique
Le Coran avertit :
ثُمَّ إِنَّ عَلَيْنَا بَيَانَهُ (al-Qiyāmah 75:19)
"Et en vérité, Il Nous revient d’en assurer l’explication."
L’explication authentique est donc interne au texte, non dépendante de sources extérieures comme le lexique bédouin, la poésie préislamique, ou les recueils d’exégèse postérieurs. Se référer à ces outils revient à nier que Dieu soit garant de son propre bayān (clarification).
4. Le piège du recours au patrimoine linguistique tribal
Avec l’émergence de la grammaire arabe à l’époque abbasside, une standardisation tardive de la "langue arabe classique" a été effectuée. Cette langue n’est pas celle du Coran, mais une reconstruction idéalisée fondée sur le shiʿr jāhilī (poésie dite antéislamique), souvent apocryphe. De nombreux grammairiens de cette époque étaient non arabes (souvent persans), ce qui a renforcé la dérive culturaliste du sens coranique vers des explications extérieures, parfois contraires à l’essence du texte.
5. Tensions entre l’oreille tribale et la structure coranique
Le Coran constate que ses destinataires, y compris ceux qui partageaient la langue du Prophète, résistaient au message :
قَوْمًا لُدًّا (Maryam 19:97)
"Un peuple obstiné, querelleur."
Cette résistance montre que le lissān coranique les dépassait. Certains allaient jusqu’à affirmer que certains termes étaient éthiopiens ou syriens — signe que la codification phonético-sémantique du Coran leur échappait. Ce lissān était donc non seulement étranger à leur culture, mais surtout supérieur à leurs schèmes de compréhension tribaux.
6. Un système à part entière, sans recours à la poésie
Le recours systématique à la poésie préislamique comme clé de lecture du Coran constitue un grave détournement du sens. Le Coran se suffit à lui-même, par sa cohérence, sa structure et son agencement logique. Le verset suivant nous le rappelle :
أَفَنَضْرِبُ عَنكُمُ الذِّكْرَ صَفْحًا أَن كُنتُمْ قَوْمًا مُّسْرِفِينَ (az-Zukhruf 43:5)
Le dhikr ne doit pas être ignoré ou remplacé par des récits excessifs. Pourtant, l’exégèse classique a largement dévié de cette injonction en insérant des explications relevant de traditions orales, poétiques ou mystiques.
Conclusion
Le lissān ʿarabiyy mubīn n’est ni la langue tribale de Muhammad ni celle, standardisée, des grammairiens abbassides. Il s’agit d’un système linguistique autonome, rationnel et universel, garantissant la cohérence et la clarté du message coranique. Toute lecture sérieuse du Coran doit partir de cette reconnaissance, sous peine de projeter sur le Texte des sens extérieurs qui en déforment la portée.
Redécouvrir le lissān, c’est redonner au Coran son autonomie, sa clarté, et sa vocation universelle.
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