lahw (لهو) et hadith (حديث) dans le Coran : Distraction et transmission, deux réalités opposées
Introduction
La tradition religieuse a longtemps détourné certains termes coraniques de leur signification contextuelle, leur imposant des sens figés issus du dogme ou des hadiths apocryphes. Parmi ces mots, lahw (لهو) et ḥadīth (حديث) sont exemplaires. Souvent perçus de manière dichotomique – l’un comme distraction, l’autre comme narration – leur rôle réel dans la logique du discours coranique mérite une relecture rationnelle, systémique et contextuelle. Le présent article propose une telle analyse à partir des occurrences coraniques.
I. Le terme lahw (لهو) : ce qui détourne de la conscience et du sens
Le mot lahw est souvent traduit par « divertissement » ou « distraction », mais son usage dans le Coran suggère une fonction plus profonde : détourner l’attention de ce qui est essentiel.
Dans la sourate Al-Jumuʿa :
وَإِذَا رَأَوْا تِجَارَةً أَوْ لَهْوًا انفَضُّوا إِلَيْهَا وَتَرَكُوكَ قَائِمًا ۚ قُلْ مَا عِندَ اللَّهِ خَيْرٌ مِّنَ اللَّهْوِ وَمِنَ التِّجَارَةِ ۚ وَاللَّهُ خَيْرُ الرَّازِقِينَ (62:11)
Et quand ils voient un commerce ou un divertissement, ils s’y précipitent et te laissent debout. Dis : “Ce qui est auprès de Dieu est meilleur que le divertissement et le commerce. Et Dieu est le meilleur des pourvoyeurs.”
Ce verset établit une équivalence entre le lahw et le commerce dans leur capacité à détourner les gens d’une tâche de sens (ici, l’écoute du message prophétique). Le lahw devient donc une réalité sociale distrayante, vide de valeur spirituelle, car elle fait obstacle à la rencontre avec le sens porté par le discours divin.
De même, dans :
اعْلَمُوا أَنَّمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا لَعِبٌ وَلَهْوٌ... (57:20)
Sachez que la vie d’ici-bas n’est que jeu et divertissement...
Le lahw, jumelé au laʿib (jeu), désigne l’illusion de la vie mondaine, dominée par la superficialité (zīna, tafākhur, takāthur). Cette illusion, séduisante mais éphémère, détourne l’esprit de la conscience de la finalité humaine.
Dans les versets 6:70 et 7:51, le lahw est encore plus sévèrement dénoncé :
وَذَرِ الَّذِينَ اتَّخَذُوا دِينَهُمْ لَعِبًا وَلَهْوًا وَغَرَّتْهُمُ الْحَيَاةُ الدُّنْيَا... (6:70)
Et délaisse ceux qui prennent leur système de vie comme jeu et divertissement, et que la vie présente a trompés...
الَّذِينَ اتَّخَذُوا دِينَهُمْ لَهْوًا وَلَعِبًا وَغَرَّتْهُمُ الْحَيَاةُ الدُّنْيَا... (7:51)
Ceux qui ont pris leur système comme divertissement et jeu, et que la vie présente a trompés...
Le lahw devient ici une pratique qui altère la relation au dīn, c’est-à-dire au système de valeurs institué par Dieu. Ceux qui prennent leur système de vie comme un jeu et une distraction oublient le liqāʾ (la rencontre) du Jour dernier. Le lahw est donc corrélé à l’oubli (nasyū) : il symbolise tout ce qui détourne la conscience humaine de sa responsabilité spirituelle.
II. Le terme ḥadīth (حديث) : parole signifiante, récit porteur de sens
À l’inverse du lahw, le mot ḥadīth désigne dans le Coran un vecteur de mémoire, un rappel, une transmission porteuse de signification.
Dans :
فَمَالِ هَٰؤُلَاءِ الْقَوْمِ لَا يَكَادُونَ يَفْقَهُونَ حَدِيثًا (4:78)
Qu’ont donc ces gens ? Ils ne comprennent presque rien à aucun discours.
Le mot ḥadīth se rapporte à un discours qui devrait éveiller la compréhension rationnelle (fiqh). Le rejet de ce ḥadīth (le Coran) est donc le signe d’un aveuglement.
Dans 2:76, le verbe yuḥaddithūnahum indique une communication entre individus :
أَتُحَدِّثُونَهُم بِمَا فَتَحَ اللَّهُ عَلَيْكُمْ...
Leur parlez-vous de ce que Dieu vous a révélé... ?
Ici, ḥadīth désigne une information révélée, partagée entre humains. Il ne s’agit pas d’un discours anodin, mais d’un contenu de valeur stratégique, lié à la compréhension du message divin.
Autre exemple :
هَلْ أَتَاكَ حَدِيثُ الْجُنُودِ (85:17)
Le récit des armées t’est-il parvenu ?
Ce verset introduit une remémoration d’un événement historique. Le ḥadīth devient alors support de mémoire collective.
Mais c’est dans les versets qui concernent directement le Coran que le terme prend toute sa dimension :
فَذَرْنِي وَمَن يُكَذِّبُ بِهَٰذَا الْحَدِيثِ... (68:44)
Laisse-moi avec celui qui dément ce discours...
فَبِأَيِّ حَدِيثٍ بَعْدَ اللَّهِ وَآيَاتِهِ يُؤْمِنُونَ (45:6)
Quel discours, après Dieu et Ses signes, vont-ils donc croire ?
اللَّهُ نَزَّلَ أَحْسَنَ الْحَدِيثِ كِتَابًا... (39:23)
Dieu a fait descendre le plus beau des discours : un Livre...
Le ḥadīth, ici, c’est le Coran lui-même. Il est présenté comme le meilleur discours, un discours méthodiquement structuré, répétitif pour faciliter la mémorisation et l’orientation, capable de provoquer une réaction émotionnelle et une orientation spirituelle.
Enfin, dans le verset 12:21, l’enseignement à Joseph vise à lui apprendre l’interprétation des aḥādīth :
وَلِنُعَلِّمَهُ مِن تَأْوِيلِ الْأَحَادِيثِ
Afin que Nous lui enseignions l’interprétation des récits.
Ici encore, le ḥadīth désigne un événement, un rêve, une parole significative, dont le sens profond nécessite une interprétation rationnelle et spirituelle.
Conclusion
Le Coran oppose radicalement deux formes d’usage du langage et de la mémoire : le lahw, qui dissipe l’attention, détourne et fait oublier ; et le ḥadīth, qui transmet, structure, rappelle et guide. Les gens de foi, selon la logique coranique, se tiennent à distance du lahw car il est une perte de sens, et s’attachent au ḥadīth – à condition que celui-ci soit aḥsan al-ḥadīth : le discours divin rationnellement intelligible (le Coran). Ainsi, la foi authentique ne peut se construire que dans une vigilance intellectuelle constante, loin des distractions futiles et ancrée dans la parole de Dieu, parole structurante par excellence – non pas des ḥadīths post-coraniques inventés trois siècles après la disparition du Prophète.
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