Comprendre la racine coranique س ر ف (s-r-f) : entre dérèglement et déséquilibre

Dans l’exploration du vocabulaire coranique, la racine س ر ف (s-r-f) est souvent traduite de façon réductrice par « excès » ou « gaspillage ». Une analyse approfondie des 21 occurrences de cette racine dans le Coran nous invite pourtant à en dégager un sens plus large, plus cohérent, et profondément fonctionnel : celui de dérèglement dans la gestion d’une fonction, déséquilibre dans la mise en œuvre d’un potentiel, ou encore débordement hors d’un cadre normatif rationnel.

Un usage varié mais cohérent dans le Coran

Le mot apparaît dans des contextes très différents : gestion de biens (4:6), alimentation (6:141, 7:31), rapports sociaux et sexuels (7:81), violence (5:32, 17:33), comportement politique (10:83, 44:31), réponse à la guidance (40:28, 40:34), ou encore attitude spirituelle (20:127, 39:53). Cette diversité apparente cache une cohérence profonde.

وَلَا تُسْرِفُوا إِنَّهُ لَا يُحِبُّ الْمُسْرِفِينَ (6:141)

Ne créez pas de déséquilibre, car Dieu n’aime pas les fauteurs de dérèglement.

Dans ce verset, souvent lu comme une interdiction de « gaspiller » les fruits récoltés, il s'agit en réalité d’un appel à respecter les équilibres inhérents à la nature et à sa gestion. Le mot isrāf désigne ici le fait de dépasser les bornes fonctionnelles d’un système harmonieux.

Isrāf et kufr : une racine parallèle ?

On peut remarquer que dans plusieurs contextes (5:32, 10:12, 40:28), les musrifīn sont assimilés aux injustes, aux criminels ou aux négateurs de la vérité. Le lien implicite entre isrāf et kufr se manifeste dans le fait que les musrifīn sont ceux qui, volontairement, détournent une chose de sa fonction première, ou outrepassent les limites que la sagesse impose à l’action humaine. On retrouve là une forme de négation active de l’ordre voulu par Dieu.

إِنَّهُ لَا يُحِبُّ الْمُسْرِفِينَ (7:31)

Il n’aime pas ceux qui corrompent le système par un déséquilibre volontaire.

Le musrif : celui qui pervertit la fonction

Le musrif n’est pas seulement quelqu’un qui fait « trop » ; il est celui qui outrepasse les bornes de sa fonction — que cette fonction soit biologique, sociale, cognitive, politique ou spirituelle. Le terme décrit ainsi un comportement qui engendre un désalignement entre le potentiel d’une chose et son usage réel.

Ce sens se vérifie dans :

  • 3:147 : l’isrāf est opposé à une gestion juste des affaires.
  • 4:6 : on interdit une consommation qui détourne les biens d’orphelins de leur fonction protectrice.
  • 7:81 : on décrit un peuple qui pervertit les fonctions naturelles de la sexualité.
  • 17:33 : il ne faut pas « abuser » du droit de justice en cas de meurtre.
  • 39:53 : même ceux qui ont causé de grands déséquilibres envers eux-mêmes peuvent espérer le pardon.

Conclusion : Isrāf, un dérèglement fonctionnel

À la lumière de cette analyse contextuelle, le mot isrāf ne renvoie pas simplement à une notion morale de « trop » ou de « gaspillage ». Il pointe une réalité beaucoup plus subtile et systémique : le fait de désaligner un potentiel avec sa finalité, d’abuser d’un pouvoir ou d’une fonction, ou de rompre l’équilibre voulu par la sagesse divine dans tout domaine de l’existence.

Le musrif est donc celui qui agit en dehors de la limite fonctionnelle des choses, contribuant ainsi à la corruption d’un système. Il est celui qui fausse les équilibres pour des motifs d’orgueil, de peur, d’avidité ou de négligence. À ce titre, le Coran le lie à la perdition, mais aussi à la possibilité de retour (tawba) si le dérèglement est reconnu et corrigé.

إِنَّ اللَّهَ يَغْفِرُ الذُّنُوبَ جَمِيعًا (39:53) — Dieu pardonne tous les dérèglements, à condition que le retour vers l’équilibre soit sincère.

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