Le contrat dans le Coran : relecture de nikāḥ (نكاح), ḥiṣn (حصن) ou zawj (زوج)
Introduction
Le Coran emploie des termes précis pour décrire les engagements humains. Pourtant, la tradition a souvent figé des mots-clés comme nikāḥ (نكاح), ḥiṣn (حصن) ou zawj (زوج) dans des sens limités, chargés de morale patriarcale, là où le texte coranique semble parler de contrats professionnels, de partenariats et de responsabilités sociales. Cette lecture traditionnelle réduit injustement la richesse du texte, en particulier concernant le rôle des femmes et les catégories sociales dans la société.
Nous proposons ici une analyse contextuelle et systémique de ces termes afin de leur redonner leur pleine portée rationnelle, éthique et universelle.
1. Nikāḥ (نكاح) : un contrat de service, non une union affective
Dans le Coran, nikāḥ est constamment associé à la notion d’ujūr ( أجور ) — rémunération ou contrepartie financière. Par exemple :
فَآتُوهُنَّ أُجُورَهُنَّ
« Donnez-leur leur rémunération... »
[Coran 4:24]
إِذَا آتَيْتُمُوهُنَّ أُجُورَهُنَّ
« Lorsque vous leur aurez donné leur contrepartie... »
[Coran 5:5]
Il serait incohérent de réduire ce mot à une simple "union amoureuse" ou à un rituel religieux. Le paiement explicite évoque plutôt un contrat de service ou de collaboration, établi selon les principes de justice, d'éthique, et de consentement.
L’assimilation entre nikāḥ et prostitution, souvent brandie comme une objection, repose sur un malentendu : il ne s’agit pas ici d’achat d’un corps, mais de reconnaissance d’un travail, d’un engagement, dans une logique de responsabilité mutuelle.
2. Ḥiṣn (حصن) contient ḥṣ : savoir, protéger, compter
Le mot ḥiṣn (préserver, protéger) contient la racine bilitérale ḥ-ṣ (ح ص) qui signifie savoir, maîtriser, recenser, comme dans :
وَإِن تَعُدُّوا نِعْمَتَ اللَّهِ لَا تُحْصُوهَا
« Et si vous comptez les bienfaits de Dieu, vous ne pourriez les dénombrer. »
[Coran 14:34]
لَّقَدْ أَحْصَاهُمْ وَعَدَّهُمْ عَدًّا
« Il les a recensés et comptés parfaitement. »
[Coran 19:94]
Ainsi, ḥiṣn évoque une forme de protection liée à une compétence maîtrisée, un savoir protégé dans le cadre d’un contrat : on protège ce qui a de la valeur, en particulier ce qui est compté ou reconnu socialement.
Dans ce sens :
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Les muḥṣanāt (المحصنات) de 4:25 sont des personnes préservées par un contrat ou une reconnaissance sociale, non des femmes enfermées dans la "chasteté sexuelle".
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Le verset 24:60, concernant les qawāʿid (les retraités ou personnes inactives) parle de ceux qui "ne s'attendent plus à un nikāḥ" — donc à un nouveau contrat actif, et non pas à une relation charnelle.
3. ʿAdd (عدّ) et Aḥṣā (أحصى) : compter, connaître, maîtriser
Le Coran emploie aussi ʿadd (compter) et aḥṣā (recenser, connaître avec précision) pour indiquer la maîtrise de données ou d’éléments sociaux. Cela appuie l’idée que ḥiṣn est lié à une capacité cognitive ou professionnelle :
وَكُلَّ شَيْءٍ أَحْصَيْنَاهُ كِتَابًا
« Nous avons tout recensé dans un livre. »
[Coran 78:29]
4. Zawj (زوج) : le pair, le partenaire complémentaire
Traduit à tort systématiquement par "époux" ou "épouse", le mot zawj désigne le complément dans un système, sans référence au genre ni au statut marital.
Exemples coraniques :
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Plantes : وَمِن كُلِّ زَوْجٍ بَهِيجٍ
« et de chaque paire agréable » — [50:7] -
Éléments naturels : زَوْجَيْنِ اثْنَيْنِ
« deux paires » — [13:3] -
Au paradis : وَزَوَّجْنَاهُم بِحُورٍ عِينٍ
« Nous les avons appariés à des partenaires lumineux » — [44:54]
Dans tous ces cas, zawj désigne un partenaire fonctionnel, un élément associé dans un tout cohérent. Le Coran parle ainsi de partenariats sociaux, professionnels ou existentiels, et non d’institutions matrimoniales figées.
5. Nikāḥ, Muḥṣanāt, Zawj : vers une lecture sociale et éthique
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Le nikāḥ désigne un engagement contractuel, avec contrepartie, conditions et responsabilité.
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Les muḥṣanāt sont des personnes engagées, reconnues, protégées contractuellement.
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Les zawjayn sont des binômes sociaux ou professionnels, complémentaires dans leur rôle.
Exemple :
وَلْيَسْتَعْفِفِ الَّذِينَ لَا يَجِدُونَ نِكَاحًا
« Que ceux qui ne trouvent pas de nikāḥ (contrat) cherchent à rester dignes. »
[Coran 24:33]
Cela désigne non ceux qui ne peuvent se marier, mais ceux qui n’ont pas d’opportunité de travail ou d’engagement social.
Conclusion
Le Coran ne sacralise pas des rôles biologiques, familiaux ou genrés. Il propose une lecture contractuelle, responsable et éthique des relations humaines. On ne "marie" pas des gens : on établit des engagements bilatéraux, dans la foi, la justice, la connaissance et la protection mutuelle.
Il est temps de libérer ces termes de la prison patriarcale où la tradition les a enfermés, pour redécouvrir dans le texte coranique une dynamique fondée sur la dignité, la compétence, et la responsabilité humaine.
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