Les « anhar نهر » de Pharaon : des masses dirigées, pas des fleuves
Le Coran nous parle des « أنهار » de Pharaon. La traduction classique les rend presque toujours par fleuves ou rivières, comme s’il s’agissait uniquement d’eau qui coule. Or, si l’on revient au texte lui-même, à la racine ن هـ ر et à l’usage réel de ce mot dans le Coran, on découvre une réalité beaucoup plus cohérente : les « anhar » de Pharaon sont les masses humaines qu’il dirige de force, qu’il mène comme un berger mène ses bêtes.
Ce sens est renforcé par un parallèle vivant en kabyle : on dit an-hhar aghyoul / akharfi pour décrire le fait de diriger un âne ou un mouton, lui imposer un chemin sans lui laisser le choix. Cette image colle exactement avec l’usage coranique du verbe نَهَرَ (nahara).
1. La racine ن هـ ر : imposer une direction, contraindre
Dans le Coran, le verbe نَهَرَ n’a jamais le sens de « faire couler de l’eau ». Il signifie plutôt : imposer une direction, rabrouer, contraindre l’autre, en particulier quand il est faible. Regardons deux versets souvent cités :
وَأَمَّا السَّائِلَ فَلَا تَنْهَرْ
93.10 — « Quant à celui qui demande, ne le contrains pas, ne le rabroue pas. »
وَقَضَىٰ رَبُّكَ أَلَّا تَعْبُدُوا إِلَّا إِيَّاهُ وَبِالْوَالِدَيْنِ إِحْسَانًا ۚ
إِمَّا يَبْلُغَنَّ عِندَكَ الْكِبَرَ أَحَدُهُمَا أَوْ كِلَاهُمَا فَلَا تَقُل لَّهُمَا أُفٍّ
وَلَا تَنْهَرْهُمَا وَقُل لَّهُمَا قَوْلًا كَرِيمًا
17.23 — « Ton Seigneur a décrété que vous ne serviez que Lui, et (que vous agissiez) avec excellence envers vos parents. S’ils atteignent auprès de toi un grand âge, l’un d’eux ou tous deux, ne leur dis même pas “ouf”, ne les contrains pas, mais adresse-leur une parole noble. »
Dans ces deux versets, فَلَا تَنْهَرْ et وَلَا تَنْهَرْهُمَا décrivent une attitude où l’on impose violemment sa propre direction à quelqu’un de fragile. On est loin d’une image d’eau qui coule : il s’agit bien de domination comportementale.
2. Les « anhar » de Pharaon dans 43.51
Regardons maintenant la phrase célèbre de Pharaon :
وَنَادَىٰ فِرْعَوْنُ فِي قَوْمِهِ قَالَ يَا قَوْمِ أَلَيْسَ لِي مُلْكُ مِصْرَ
وَهَٰذِهِ الْأَنْهَارُ تَجْرِي مِن تَحْتِي ۖ أَفَلَا تُبْصِرُونَ
43.51 — « Pharaon lança un appel à son peuple et dit : “Ô mon peuple ! N’ai-je pas la royauté de Misr ? Et ces anhar ne se déroulent-elles pas sous mon autorité ? Ne voyez-vous donc pas ?” »
Si l’on appliquait la traduction mécanique « fleuves », le verset deviendrait une sorte de décoration géographique : Pharaon se vanterait simplement de posséder des canaux d’irrigation. Mais le reste du Coran décrit Pharaon comme un tyran politique et social, pas comme un simple gestionnaire d’eau.
L’expression هَٰذِهِ الْأَنْهَارُ تَجْرِي مِن تَحْتِي s’éclaire alors autrement : les « anhar » sont les gens qu’il dirige et contraint, les faibles du peuple, parmi lesquels les fils d’Israël. Ils sont « sous lui » (مِن تَحْتِي) : sous ses ordres, sous ses décisions, sous ses lois injustes.
La racine ن هـ ر garde ainsi son sens : imposer une direction. Les anhar de Pharaon sont les masses humaines qu’il mène comme on mène un troupeau, comme dans l’expression kabyle an-hhar aghyoul / akharfi.
3. « Yajrī » : ce qui se déroule sous une loi
Le verbe جَرَى (jarā), souvent rendu par « couler », décrit en réalité ce qui se déroule, s’applique, suit une loi. On le voit très clairement dans d’autres passages :
وَسَخَّرَ الشَّمْسَ وَالْقَمَرَ ۖ كُلٌّ يَجْرِي لِأَجَلٍ مُسَمًّى
13.2 — « Il a assujetti le soleil et la lune : chacun se déroule jusqu’à un terme fixé. »
Ici, كُلٌّ يَجْرِي ne signifie pas que le soleil et la lune « coulent » comme de l’eau, mais qu’ils obéissent à la loi que Dieu a fixée pour eux, jusqu’à un délai déterminé.
وَهُوَ الَّذِي خَلَقَ اللَّيْلَ وَالنَّهَارَ وَالشَّمْسَ وَالْقَمَرَ ۖ
كُلٌّ فِي فَلَكٍ يَسْبَحُونَ
21.33 — « C’est Lui qui a créé la nuit, le jour, le soleil et la lune ; chacun (d’eux) nage dans une orbite. »
Quand le Coran veut évoquer clairement le mouvement cosmique, il utilise يَسْبَحُونَ (nager, se déplacer librement) et non pas seulement يَجْرِي. Ce dernier insiste sur le déroulement sous une loi.
Appliqué aux anhar de Pharaon, تَجْرِي exprime que ces gens sont pris dans le flux des lois injustes de Pharaon. Ils ne possèdent plus leur propre direction : c’est lui qui « trace la trajectoire » qu’ils doivent suivre.
4. « Taḥt » : être sous l’autorité de quelqu’un
L’expression مِن تَحْتِي dans 43.51 renvoie à l’idée d’être sous l’autorité de, et pas seulement « sous les pieds » au sens spatial. On retrouve la même logique ailleurs, par exemple :
ضَرَبَ اللَّهُ مَثَلًا لِّلَّذِينَ كَفَرُوا امْرَأَتَ نُوحٍ وَامْرَأَتَ لُوطٍ ۖ
كَانَتَا تَحْتَ عَبْدَيْنِ مِنْ عِبَادِنَا صَالِحَيْنِ فَخَانَتَاهُمَا
66.10 — « Dieu propose en exemple, pour ceux qui mécroient, la femme de Noé et la femme de Lot : elles étaient sous deux de Nos serviteurs vertueux, mais elles les ont trahis. »
Ici, تَحْتَ عَبْدَيْنِ signifie qu’elles étaient dans une relation de dépendance, sous leur responsabilité. De la même manière, les anhar de Pharaon « coulent » sous lui : ce sont des gens placés sous sa domination, sous ses ordres, sous ses lois.
5. Les « anhar » de Pharaon : des humains réduits à un troupeau
En réunissant tous ces éléments, une image cohérente se dégage :
- نَهَرَ : contraindre quelqu’un, lui imposer une direction, le rabrouer.
- أنهار : ce que l’on dirige, ce qui est mené dans un sens déterminé.
- يَجْرِي : se dérouler sous une loi, suivre un cadre imposé.
- مِن تَحْتِي : sous mon autorité, sous mes ordres.
Les « anhar de Pharaon » ne sont donc pas des cours d’eau, mais les faibles de son peuple, parmi eux les fils d’Israël, qu’il dirige comme un troupeau soumis. Il leur impose sa « direction », comme dans l’expression kabyle an-hhar aghyoul / akharfi, où l’on conduit un âne ou un mouton en le privant de choix.
Pharaon se vante ainsi d’être à la tête d’un système où il possède la royauté (ملْكُ مِصْرَ) et où ses anhar humains ne peuvent que « se dérouler sous lui », prisonniers de ses lois et de ses ordres injustes.
Conclusion
En revenant au Coran lui-même, en observant les racines, le contexte et la cohérence des versets, on voit que les « anhar » de Pharaon ne parlent pas de géographie, mais de domination sociale et politique. Le texte décrit un tyran qui s’enorgueillit d’avoir transformé son peuple en troupeau dirigé, à qui il impose sa voie, ses lois, sa vision.
Cette lecture rejoint naturellement la réalité linguistique, aussi bien en arabe qu’en kabyle : نَهَرَ et an-hhar évoquent la même chose : imposer une direction à quelqu’un, le priver de toute alternative. C’est exactement ce que fait Pharaon avec ses « anhar ».

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