« Arabe » dans le Coran : une qualification du texte, pas une identité

Une confusion tenace traverse la plupart des lectures : croire que ʿarabī (عربي) renvoie à une ethnie (« les Arabes ») ou à une langue nationale (« l’arabe »). Or, une lecture interne du Codex (sans autorité cléricale, sans sources externes) mène à une conclusion simple : ʿarabī qualifie le texte comme discours clair, structuré et intelligible — pas un peuple.

Principe méthodologique : on ne force pas le Coran à entrer dans une grammaire postérieure ; on lit le texte comme un système autonome où les mots se définissent par leur usage, leurs oppositions et leur cohérence globale.

1) Une langue « officielle » est toujours une construction

Dans l’histoire humaine, une langue standard « officielle » n’apparaît pas spontanément : elle est fixée, normalisée, puis enseignée. Le français académique, par exemple, est une construction normée à partir de parlers multiples. La même logique vaut ici : confondre le Codex avec une langue ethnique « pure » est un glissement idéologique, pas une nécessité textuelle.

2) Le Coran revendique un mode d’expression : عربي

Quand le Coran qualifie son discours de عربي, il désigne une propriété du message : clarté, cohérence, intelligibilité. Autrement dit : un discours codifié et compréhensible, accessible à qui lit avec sérieux.

Exemple — 12.2
إِنَّا أَنزَلْنَاهُ قُرْآنًا عَرَبِيًّا لَّعَلَّكُمْ تَعْقِلُونَ

Traduction (FR) : Nous l’avons fait descendre en tant que Codex ʿarabī, afin que vous usiez de votre raison.

Ici, le lien est direct : ʿarabītaʿqilūn (raisonner). Ce n’est pas une bannière ethnique ; c’est un signal cognitif.

3) L’opposition structurante : عربي / أعجمي

Le texte oppose ʿarabī à aʿjamī (أعجمي). Cette polarité ne parle pas de « sang » ni de « tribu » ; elle décrit deux états du discours :

  • عربي : explicite, cohérent, lisible, structuré.
  • أعجمي : confus, opaque, non systémique, difficile à articuler/clarifier.
Exemple — 41.44
وَلَوْ جَعَلْنَاهُ قُرْآنًا أَعْجَمِيًّا لَّقَالُوا لَوْلَا فُصِّلَتْ آيَاتُهُ ۖ أَأَعْجَمِيٌّ وَعَرَبِيٌّ

Traduction (FR) : Si Nous en avions fait un Codex aʿjamī, ils auraient dit : « Pourquoi ses signes ne sont-ils pas explicités ? Quoi ! aʿjamī et ʿarabī ? »

Le reproche évoqué porte sur l’explicitation (فُصِّلَتْ) : on est bien dans la logique de clarté/structure, pas dans une revendication ethnique.

4) « Arabe » n’est pas « la langue des Arabes »

La formule « langue des Arabes » fait basculer le lecteur dans un récit identitaire extérieur au texte. Or le Codex, lui, met l’accent sur la fonction du discours : permettre la compréhension, la vérification, et la responsabilité individuelle.

Exemple — 39.28
قُرْآنًا عَرَبِيًّا غَيْرَ ذِي عِوَجٍ لَّعَلَّهُمْ يَتَّقُونَ

Traduction (FR) : Un Codex ʿarabī, sans torsion ni déviation, afin qu’ils agissent avec justesse.

Le texte associe ʿarabī à l’idée de droiture du message (sans ‘iwaj), donc à une propriété interne du discours.

5) Conséquences sur la lecture du Coran

Si ʿarabī est une qualité du Codex, alors plusieurs conséquences deviennent évidentes :

  • ❌ Le Coran n’est pas une bannière tribale ou nationale.
  • ❌ Il n’impose pas une « langue sacrée » figée par des autorités postérieures.
  • ❌ Il ne nécessite pas un clergé pour « traduire » le message à la place du lecteur.
  • ✅ Il exige la lecture, l’attention, l’examen, et la responsabilité.

Conclusion

Dans le Coran, عربي n’est pas un drapeau ethnique. C’est un adjectif qui qualifie le Codex comme un discours clair, structuré et intelligible — destiné à être compris par l’effort de lecture et de raison. Ainsi, le texte se protège contre toute confiscation : il ne sacralise pas un peuple ; il sacralise la clarté du message et la responsabilité du lecteur.



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