Kabylie : une civilisation politique avant l’annexion (tajmaɛt, laɛnaya, jmaa n lɛemane)

Introduction

Bien avant la conquête coloniale, bien avant l’État algérien moderne, la Kabylie s’est structurée autour de principes politiques et sociaux d’une grande maturité. Ces principes ne relèvent ni du folklore ni du religieux, mais d’une véritable philosophie de gouvernance, forgée par l’expérience collective.

1. Les concepts fondateurs de la société kabyle

1.1 Tajmaɛt : une démocratie communautaire

Tajmaɛt est l’assemblée du village. Elle repose sur la délibération collective, la responsabilité, le consensus et le contrôle social. Elle précède historiquement ce que l’on appellera plus tard la démocratie participative.

1.2 Laɛnaya : l’ancêtre du droit d’asile

Laɛnaya est la protection accordée à toute personne menacée, indépendamment de son origine ou de son appartenance. Celui qui reçoit la laɛnaya devient inviolable. Ce principe précède clairement le droit d’asile moderne.

1.3 Jmaa n lɛemane : la racine kabyle de la laïcité

Jmaa n lɛemane désigne l’espace commun des affaires collectives, distinct du religieux et des croyances individuelles. C’est une séparation fonctionnelle, bien avant la formalisation moderne de la laïcité.

Ces trois concepts forment une cohérence : gouverner ensemble, protéger l’humain, et préserver l’espace public de toute domination idéologique.

2. 1844 : Venture de Paradis et l’intérêt colonial précoce

En 1844 est publié à Paris, à titre posthume, l’ouvrage de Venture de Paradis : Grammaire et dictionnaire abrégés de la langue berbère.

Cet intérêt pour la langue et les structures berbères précède la conquête totale de la Kabylie. Il s’inscrit dans une logique coloniale classique : comprendre pour administrer, classifier pour dominer.

La société kabyle n’est pas étudiée par admiration, mais parce qu’elle résiste et qu’elle est politiquement structurée.

3. Fadhma N’Soumer : la résistance kabyle incarnée

Fadhma N’Soumer (1830–1863) incarne la résistance kabyle à l’expansion coloniale française dans les années 1850.

Elle organise, soutient et légitime la lutte populaire bien avant la chute militaire de 1857. Capturée cette année-là, elle est assignée à résidence jusqu’à sa mort.

Elle symbolise une Kabylie combattante, consciente, autonome, avant son assujettissement administratif.

4. 1857–1871 : de la conquête à l’annexion de fait

La campagne militaire de 1857 marque la prise de contrôle armée de la Kabylie. Les années suivantes voient l’installation d’une administration militaire, la consolidation du contrôle, et la préparation d’un basculement institutionnel.

En 1871, la grande insurrection kabyle est écrasée. Elle est suivie de confiscations massives de terres, de déportations et de la destruction définitive de l’autonomie locale.

C’est à ce moment que s’opère l’annexion totale de fait de la Kabylie.

5. 1871 : le silence d’Abdelkader

En 1871, lors de l’écrasement de la Kabylie, l’émir Abdelkader, figure centrale du récit national algérien, n’apporte aucun soutien politique, militaire ou moral aux Kabyles.

Après sa reddition en 1847, il bénéficie d’un traitement honorifique : libération, résidence à Damas, et pension conséquente pour lui et sa famille versée par la France.

Il ne s’agit pas d’un jugement moral, mais d’un fait historique : en 1871, la Kabylie affronte seule l’une des répressions les plus lourdes de la période coloniale.

Conclusion

La Kabylie n’est pas une création administrative, ni une revendication récente. C’est une civilisation politique ancienne, fondée sur la démocratie locale, la protection de l’humain et la séparation du pouvoir et du sacré.

Son annexion en 1871 n’a pas effacé ces principes. Elle les a seulement rendus invisibles dans les récits dominants.



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