Le mythe de l’infaillibilité prophétique et le vrai sens coranique de عصم
Le rêve des islamistes traditionalistes — ceux qui prétendent être « musulmans » tout en confisquant la religion — n’a jamais été de servir le Coran, mais au contraire de le rendre inopérant. Non pas en le supprimant matériellement, mais en le recouvrant de couches de rituels, de mythes et de médiations sacralisées, afin que plus personne ne puisse le lire comme un texte simple, rationnel, universel et adressé au commun des mortels.
Leur objectif est clair : faire disparaître le rôle réel du Codex coranique comme référence directe et suffisante, pour avoir les mains libres et fabriquer une religion sur mesure, gérée par des castes religieuses, des institutions fermées et des « sciences » dogmatiques. Le Coran devient alors un décor sonore, récité, chanté, mémorisé, mais rarement étudié et réfléchi.
1. Comment détourner un Livre sans l’effacer ?
Historiquement, plusieurs barrières ont été dressées pour détourner les gens du Coran tout en prétendant le vénérer :
- Réduire la lecture à la simple récitation, souvent spectaculaire et émotionnelle, mais sans réflexion.
- Valoriser la mémorisation, tout en interdisant de fait l’interprétation, réservée à des élites autoproclamées, issues d’universités religieuses verrouillées.
- Marginaliser ou éliminer toutes les voix rebelles qui osent revenir au texte lui-même (comme le cas d’al-Hallaj, entre autres).
- Construire une langue arabe concurrente du Codex, avec un lexique et une grammaire postérieurs, afin d’imposer un autre système que le Lissān ʿArabī coranique, lequel repose sur environ 1800 racines cohérentes, organisées et suffisantes pour expliciter les concepts.
- Accuser ensuite le Coran d’être « difficile », alors que lui-même se décrit comme clair, détaillé et accessible, appelant au tadabbur (réflexion approfondie), et non à la psalmodie mécanique.
Le Codex coranique affirme dans plusieurs versets qu’il est un exposé détaillé, explicite, suffisant pour celui qui réfléchit. C’est précisément cette autonomie du texte que les appareils religieux cherchent à neutraliser.
2. Le cas d’école : la falsification de la racine عصم
Pour illustrer concrètement ce processus de détournement, prenons le mot coranique عصم. Dans la théologie traditionaliste, on nous a imposé l’idée suivante :
« Le prophète est maʿṣūm, c’est-à-dire infaillible : il ne se trompe jamais, ne commet aucun péché, ne parle jamais sous l’effet de ses passions. De même, certains ajoutent que les anges seraient “infaillibles”. »
Cette définition ne vient pas du Coran, mais d’un discours post-coranique, fabriqué pour construire une image sacrée du prophète et justifier ensuite l’autorité absolue de ceux qui parlent en son nom.
Or, lorsque l’on examine systématiquement la racine عصم dans le Codex, en contexte, on découvre un sens complètement différent : il est question de protection, refuge, sauvegarde contre un danger extérieur, jamais de « pureté morale absolue » ni d’« immunité contre le péché ».
3. Témoignage d’une réflexion indépendante
Parmi les chercheurs contemporains qui ont re-questionné ce mot directement à la lumière du Coran, on trouve notamment @Faouzi Chekir, dont la réflexion rejoint une analyse rationnelle des occurrences de la racine عصم. La démarche consiste à abandonner les filtres du patrimoine traditionnel pour laisser le Codex définir lui-même ses propres concepts.
Cette lecture s’appuie sur des constats très simples :
- Les versets où apparaît عاصم, يَعصِم, اعتصم, etc., évoquent toujours une réalité de protection ou de sauvegarde contre un danger ou une menace.
- Aucun verset ne relie la racine عصم à l’idée de « préserver quelqu’un du péché » ni à l’idée de « rendre une personne infaillible ».
- Là où le discours traditionnel construit une théorie de l’« infaillibilité prophétique », le Coran rappelle au contraire le caractère humain du messager.
4. Les versets où apparaît عصم : une cohérence parfaite
Voici un ensemble de versets recueillis par l’outil de recherche Alfamous sur la racine عصم et ses dérivés. On y voit clairement se dessiner un sens unique : protéger, sauver, servir de refuge.
4.1 Protection assurée au messager contre les gens (5.67)
يَا أَيُّهَا الرَّسُولُ بَلِّغْ مَا أُنزِلَ إِلَيْكَ مِنْ رَبِّكَ ۖ وَإِنْ لَمْ تَفْعَلْ فَمَا بَلَّغْتَ رِسَالَتَهُ ۚ وَاللَّهُ يَعْصِمُكَ مِنَ النَّاسِ ۗ إِنَّ اللَّهَ لَا يَهْدِي الْقَوْمَ الْكَافِرِينَ
(5.67) Ô messager, transmets ce qui t’a été révélé de la part de ton Seigneur. Si tu ne le fais pas, alors tu n’auras pas communiqué Son message. Et Dieu te protège des gens. Dieu ne guide pas le groupe des ingrats.
Le verbe يَعْصِمُكَ désigne clairement une protection contre les gens : Dieu garantit que la mission de transmission ne sera pas empêchée par leurs attaques. Il n’est nullement question de « protéger le prophète contre ses propres péchés ».
4.2 Aucun « sauveur » contre Dieu (10.27, 40.33)
وَالَّذِينَ كَسَبُوا السَّيِّئَاتِ جَزَاءُ سَيِّئَةٍ بِمِثْلِهَا وَتَرْهَقُهُمْ ذِلَّةٌ ۖ مَا لَهُمْ مِنَ اللَّهِ مِنْ عَاصِمٍ كَأَنَّمَا أُغْشِيَتْ وُجُوهُهُمْ قِطَعًا مِّنَ اللَّيْلِ مُظْلِمًا ۚ أُولَٰئِكَ أَصْحَابُ النَّارِ ۖ هُمْ فِيهَا خَالِدُونَ
(10.27) Ceux qui ont acquis les mauvaises actions recevront une rétribution équivalente, et l’humiliation les couvrira. Ils n’auront contre Dieu aucun protecteur. On dirait que leurs visages sont couverts de morceaux de nuit obscure. Ceux-là sont les compagnons du feu, ils y demeureront.
يَوْمَ تُوَلُّونَ مُدْبِرِينَ مَا لَكُمْ مِنَ اللَّهِ مِنْ عَاصِمٍ وَمَنْ يُضْلِلِ اللَّهُ فَمَا لَهُ مِنْ هَادٍ
(40.33) Le jour où vous tournerez le dos en fuyant, vous n’aurez contre Dieu aucun protecteur. Et celui que Dieu laisse s’égarer n’a aucun guide.
Dans ces deux versets, le terme عَاصِم signifie « protecteur, sauveur, refuge ». Il s’agit d’un tiers qui pourrait sauver de la conséquence d’un acte ou d’un décret, non d’une « infaillibilité morale » interne à la personne.
4.3 La scène du Déluge : le sens le plus explicite de عصم (11.43)
قَالَ سَآوِي إِلَىٰ جَبَلٍ يَعْصِمُنِي مِنَ الْمَاءِ ۚ قَالَ لَا عَاصِمَ الْيَوْمَ مِنْ أَمْرِ اللَّهِ إِلَّا مَنْ رَحِمَ ۚ وَحَالَ بَيْنَهُمَا الْمَوْجُ فَكَانَ مِنَ الْمُغْرَقِينَ
(11.43) Il dit : « Je vais me réfugier vers une montagne qui me protègera de l’eau. » Il répondit : « Il n’y a aujourd’hui aucun protecteur contre l’ordre de Dieu, sauf celui envers qui Il fait miséricorde. » La vague se mit entre eux deux, et il fut parmi les noyés.
Ici, le fils de Noé dit clairement : « une montagne me protégera (يَعْصِمُنِي) de l’eau ». Puis Noé lui répond : « Il n’y a aujourd’hui aucun protecteur (لَا عَاصِمَ) contre l’ordre de Dieu ». La racine عصم signifie donc protéger de la noyade, servir de refuge, sauver d’un danger réel.
C’est ce sens qui est cohérent dans toutes les occurrences coraniques, et non l’idée d’un être humain rendu « impeccable » moralement.
4.4 Qui peut vous protéger contre Dieu ? (33.17)
قُلْ مَنْ ذَا الَّذِي يَعْصِمُكُمْ مِنَ اللَّهِ إِنْ أَرَادَ بِكُمْ سُوءًا أَوْ أَرَادَ بِكُمْ رَحْمَةً ۚ وَلَا يَجِدُونَ لَهُمْ مِنْ دُونِ اللَّهِ وَلِيًّا وَلَا نَصِيرًا
(33.17) Dis : « Qui donc peut vous protéger de Dieu s’Il veut pour vous un mal ou s’Il veut pour vous une miséricorde ? » Et ils ne trouveront, en dehors de Dieu, ni allié ni secoureur.
De nouveau, يَعْصِمُكُمْ signifie « vous protéger ». La question est : qui pourrait vous servir de refuge contre la décision de Dieu ? Toujours aucune trace d’une quelconque « infaillibilité morale ».
4.5 S’attacher fermement à Dieu (3.101, 3.103, 4.146, 4.175, 22.78)
La forme verbale اعتصم insiste sur le fait de se tenir fermement, s’agripper, se raccrocher à Dieu ou à Sa guidance.
وَمَن يَعْتَصِمْ بِاللَّهِ فَقَدْ هُدِيَ إِلَىٰ صِرَاطٍ مُّسْتَقِيمٍ
(3.101) Et quiconque s’attache fermement à Dieu a été guidé vers un chemin droit.
وَاعْتَصِمُوا بِحَبْلِ اللَّهِ جَمِيعًا وَلَا تَفَرَّقُوا
(3.103) Et attachez-vous tous ensemble au lien de Dieu et ne vous divisez pas.
Dans ces versets, le sens reste parfaitement aligné : s’accrocher à un support protecteur, s’adosser à une structure qui préserve de l’égarement, non devenir ontologiquement « infaillible ».
5. Et le prophète dans tout cela ? Humain ou intouchable ?
La construction traditionnelle veut un prophète surhumain, intouchable, infaillible, quasi divinisé. Le Coran affirme au contraire sa nature parfaitement humaine.
قُلْ إِنَّمَا أَنَا بَشَرٌ مِّثْلُكُمْ يُوحَىٰ إِلَيَّ أَنَّمَا إِلَٰهُكُمْ إِلَٰهٌ وَاحِدٌ
(18.110) Dis : « Je ne suis qu’un être humain comme vous. Il m’est révélé que votre dieu est un Dieu unique. »
De plus, le Coran mentionne explicitement que Dieu couvre et pardonne les manquements liés à la mission du messager :
لِّيَغْفِرَ لَكَ اللَّهُ مَا تَقَدَّمَ مِن ذَنبِكَ وَمَا تَأَخَّرَ
(48.2) Afin que Dieu te couvre de pardon pour ce qui, de ta charge, a précédé et ce qui viendra après.
Loin d’installer une figure « infaillible », le Coran nous rappelle que le messager est un humain chargé d’une mission, susceptible d’erreurs, mais protégé dans l’accomplissement de cette mission contre les attaques des gens et les obstacles extérieurs. C’est cela que signifie la protection évoquée en 5.67 : Dieu le protège des gens pour que le message soit transmis.
6. Pourquoi avoir inventé l’« infaillibilité prophétique » ?
La doctrine de l’« infaillibilité » ne sert pas le texte du Coran, elle sert l’architecture du pouvoir religieux. Un prophète humain, lisible, accessible, qui se décrit lui-même comme « un être humain comme vous », rend logique l’idée que tout humain raisonnable peut lire et commenter le Livre.
En revanche, un prophète déclaré « maʿṣūm », c’est-à-dire infaillible au sens mythologique du terme, permet de construire par extension des catégories d’hommes « supérieurs » (savants, imams, autorités religieuses) dont la parole est placée au-dessus de tout soupçon. Il devient alors plus facile d’imposer :
- des hadiths fabriqués ou instrumentalisés,
- des doctrines figées au service du pouvoir politique,
- l’interdiction de toute critique ou remise en question,
- la confiscation du droit d’interpréter le texte par le commun des mortels.
Le mythe de l’infaillibilité est donc un outil de contrôle. Il neutralise la responsabilité individuelle, décourage le tadabbur, et transforme la foi en obéissance aveugle aux institutions.
7. Conclusion : rendre au mot عصم son sens coranique
L’analyse de la racine عصم montre que le Codex coranique est parfaitement cohérent avec lui-même :
- عَصَمَ = protéger, sauver, servir de refuge, empêcher un danger extérieur de se réaliser.
- عَاصِم = un protecteur, un sauveur, un refuge.
- اعْتَصَمَ = s’accrocher fermement, s’adosser à la protection de Dieu, se lier à Sa guidance.
À aucun moment le Coran n’emploie cette racine pour signifier « rendre quelqu’un moralement infaillible » ou « empêcher un humain de commettre des fautes ». Ce sont les systèmes théologiques postérieurs qui ont injecté ce sens étranger, en contradiction avec le texte lui-même.
En redonnant à عصم son sens coranique, on brise un pilier majeur de la religion fabriquée par les traditionalistes : le mythe du prophète infaillible. On retrouve alors un messager pleinement humain, porteur d’une mission, protégé dans l’exercice de cette mission, mais en tout point humain comme les autres, et un Livre ouvert à la réflexion de tous.
C’est précisément ce que craignent ceux qui rêvent de faire disparaître le Coran : non pas le texte imprimé, mais le Coran vivant dans l’esprit de personnes capables de le lire, de le comprendre et de contester les récits qu’on leur impose.
Cette réflexion s’appuie sur une analyse des occurrences coraniques de la racine عصم (collectées grâce à l’outil Alfamous) et rejoint, sur plusieurs points, les critiques formulées par des penseurs indépendants comme @Faouzi Chekir à l’égard de la doctrine traditionnelle de « l’infaillibilité ».

Commentaires
Publier un commentaire
Partagez vos réflexions avec sincérité. Toute parole de foi contribue à l’élévation collective *
شارِك تأمّلاتك بصدق، فكلُّ كلمة إيمان تُسهم في الارتقاء الجماعي.
* Share your reflections with sincerity. Every word of faith contributes to our collective elevation. 😇❤️🎶👀